Le marque-page ou ma descente lente aux enfers de la prévoyance

Le regard flou, les yeux fatigués, les 40 ans s'approchent

Vous savez comment j’ai su que mes 40 ans s’approchaient? Comment j’ai su que j’étais inéluctablement devenu un adulte, que mon adulescence, la folie de mes 30 ans était derrière moi? J’ai utilisé la carte de visite d’un courtier comme marque-page. Je lisais un livre assez drôle, assez fin, un livre d’été, et quand j’ai cherché un marque-page j’ai pris la première chose que j’ai trouvé sur mon bureau. Et c’était la carte d’un courtier. Oh, le coup de vieux! J’ai pris des cernes, juste en la prenant dans mes mains. Le pire c’est que j’ai fait ça d’un air naturel, comme si c’était la chose la plus normale au monde d’avoir une carte de courtier sur son bureau. On est loin, très loin de la révolte, de vouloir changer le monde! Maintenant je prépare le futur. Je pense à mes surlendemains. Bref, je suis devenu responsable et prévoyant. L’horreur.

Isabelle part au Canada

Isabelle part au Canada.
Et moi je reste là.
J’imprime mon nom.
Sur cette ville, cette maison.
Depuis longtemps.
J’insiste. Je résiste. Je persiste.
Je m’affaisse de plus en plus.
Mais je reste.
Reste quoi?
Reste pourquoi?

Isabelle part au Canada.
Et moi je reste, là.
Là tout de suite, et plus tard aussi.
Je reste, insiste, persiste, existe de moins en moins.
Alors qu’Isabelle, elle, elle part.
Part de plus belle.
Pour une vie nouv… un nouveau départ.
Coucher avec de nouvelles personnes!
Alors que moi, je reste, moi.
En elle, connue, si connue, trop connue, convenue,
et pourtant s’éloigne petit à petit.
Comme un départ très lent, au Canada intérieur.
Il fait froid dans mon Canada.

Isabelle, elle part au Canada.
Au Canada extérieur.
Peut-être elle reste, elle, en vrai.
Et c’est moi qui s’en vais, pour de faux.
Faux cul que je suis, faisant semblant de rester, tout en étant parti, depuis un moment déjà.
Moments par moments j’ai pris mes affaires
Et je les ai posées loin, en sécurité
de ma vie, d’ici.

Isabelle, elle reste au Canada.
Et moi je suis parti ici.
Et je resterai parti ici.
Je prends mon parti et je le garde, ici.
Je le garde, là, à coté de moi.
Mon Canada à moi est là.
Il fait froid dans mon Canada.
Isabelle s’en va. Et moi, les restes.

Jacko le corbeau

Je vais vous conter
la légende
de Jacko, le corbeau.

Un soir de septembre
sur un toit, dans une ville, était assis
un jeune corbeau, les plumes touffues,
la tête pleine d’idées et pensées.

Paf le bus. *

Jacky, le beau corbeau
plat comme un plateau.
C’est pas beau un corbeau
avec ses boyaux sur la chaussée.


*Le bus passait par le toit, pour une fois.
À cause des travaux. Sinon il passe par les maréchaux.