Ma rencontre avec Mitch

Une plage en Vendée, 2015

L’été dernier, j’ai fait une rencontre… Alors une rencontre… Ça a changé ma vie. J’ai rencontré Mitch. On s’est rencontrés en faisant de la natation. D’abord j’ai nagé tout seul, et à un moment donné, Mitch est arrivé comme ça, l’air de rien et m’a demandé si je voulais pas nager avec lui. Et moi, je sais pas pourquoi, sur un coup de tête j’ai dit oui. Mitch n’était pas tout seul. Il était avec deux collègues, mais qui nous ont laissés rapidement. C’est que Mitch travaillait, ce jour là. Donc, grâce à la discrétion de ses collègues, Mitch et moi on s’est retrouvés tous seuls dans les vagues vendéennes. Alors, je ne sais pas si vous avez déjà fait trempette avec un pompier dans l’atlantique… C’est quelque chose. Et tous les deux on a tout de suite sentis qu’il avait quelque chose de fort entre nous. D’abord des vagues de trois mètres. Puis la ligne qui attachait Mitch à ses collègues à la plage. Et eux, d’ailleurs probablement jaloux de notre intimité houleuse, ils tiraient comme des fous pour nous ramener sur la plage. À un point qu’on n’arrivait plus à sortir la tête de l’eau. Et puis Mitch, il a fait ce qui m’a prouvé qu’il tenait, comme moi à vivre à fond ce moment dans l’eau froide, Mitch il a ouvert son harnais et a lâché la ligne.

Il m’a dit plus tard, dans l’ambulance, que c’était pour pas qu’on se noie, mais je sais lire entre les lignes, moi. Vraiment seuls maintenant, emportés à nouveau au large par le courant et les vagues, Mitch et moi, on s’est regardés, puis on s’est tenus la main, c’était évident qu’on voulait la même chose. Survivre, d’abord, bien sur, mais derrière tout ça il y avait autre chose. Les rochers. Et les méduses. J’ai du mal à rendre justice à ce moment avec les mots, il fallait être là, nous voir dans l’eau, Mitch et moi, main dans la main, épaule à épaule, ballotté par les vagues, immergés à intervalles irréguliers par la barre des vagues. Mais bon, toutes bonnes choses ont une fin, et Mitch, il était au travail quand même, il n’était pas là pour s’amuser. Et je crois aussi qu’il n’assumait pas complètement. Il n’a pas osé de mettre tout le paquet pour cette première rencontre. Ce qu’il était pudique, Mitch. Il m’a avoué après qu’il avait préparé plus pour moi, que l’hélico pour nous sortir de là était déjà en route. Il a du se dire que ça faisait peut-être trop pour une première rencontre et du coup on a continué à nager jusqu’à mettre pied sur terre ferme.

Mitch et moi on s’est retrouvés sur cette plage idyllique, complètement désert (si on fait abstraction des dizaines de pompiers, des policiers et de la centaine de badauds en maillot de bain qui filmaient avec leur téléphone portable). Et là, Mitch m’a abandonné. Je pense que le regard des autres était trop fort, ou peut-être était-ce la tristesse que ça n’allait pas aller plus loin entre nous, lui le pompier-plongeur qui sauve des vies et moi, l’artiste-branleur qui se noie.Les collègues de Mitch se sont mis à me toucher à leur tour, à me couvrir d’attention et d’une couverture chauffante, ils me chauffaient bien, quoi. Il y avait Gui-Gui, Jojo et les autres. Mitch est quand même venu me voir dans l’ambulance pour dire au revoir. On s’est mis d’accord qu’on n’allait plus se voir, du moins pas dans des circonstances aussi engageantes. Une fois mon Parkinson temporaire passé et ma température remonté dans des sphères mesurables par des thermomètres, je me suis rendu compte: Je l’avais échappé belle. Donc merci à Mitch et ses collègues sans lesquels ce texte serait un texte posthume. Je vous remercie de m’avoir lu et faites attention à vous! C’est pas tous les jours qu’il y a un Mitch qui vous sort de là.


(En hommage aux pompiers de Sables-d’Olonne. Le 4 août 2015, j’ai failli mourir noyé. Ils ont décidés que ce n’était pas une superbe idée.) 

La question des nains de Portopetaka

Portopetaka est un lieu qui n’existe pas. Ce qui rend la question des nains y vivant cruciale. Ça faisait déjà un moment que je me faisais des soucis pour eux. Ils ne devaient pas être très bien là où ils sont. Qui a envie de vivre quelque part où on n’est pas ? Qui peut se sentir bien dans un lieu qui est néant ? Pas moi en tous les cas. Moi j’habite à Paris. Paris existe, même si c’est une ville vide de sens et de raison. Paris est une ville remplie de vide. Une ville qui a besoin de créer du vide et pour ce faire elle doit vider toutes celles et tous ceux qui osent y venir plein d’idées. Paris est une ville très vidant, c’est évidant. Fermons cette Paristhese et acceptons que Paris existe.

Portopetaka cependant n’a même pas la chance des villes qui n’existent que par la vidange. Elle n’a même pas la chance d’être une de ces villes qui ne font que feindre leur existence en créant des gens qui en viennent. Qui par exemple a déjà été à Vélizy ? Vélizy existe seulement parce qu’untel y est né. Une telle a une cousine qui a traversé Véliy quand elle avait onze ans, un sportif de seconde zone y a inauguré un gymnase. À part ça, Vélizy n’existe pas. Mais c’est déjà ça de pris.

Portopetaka n’a même pas cette chance. Personne ne vient de Portopetaka, personne y va, il n’y a aucune infrastructure pour y aller et vous pouvez chercher pendant longtemps avant de trouver un vol aller-retour pour l’aéroport de Portopetaka. Ce qui crée un énorme problème d’accessibilité. Vous me demanderez en quoi une ville non existante a besoin de tourisme ? La question semble justifiée. Moi je ne peux vous répondre qu’en vous disant que c’est à la fois superficiel et hautain de penser ainsi. En quoi le fait de ne pas exister enlève le droit de vouloir se développer ?  Portopetaka, comme n’importe quelle autre métropole, à le droit de vouloir attirer du monde. Le monde a bien sûr le droit de l’ignorer comme il le fait d’ailleurs si bien depuis le jour de sa non-création. Le monde a le droit de lui préférer des lieux plus accessibles comme la ville bien réelle de Stockholm, les pays bien réels qui sont le Maroc ou la Moldavie.

Portopetaka a bien des avantages aussi : la ville est immense et petite à la fois, la cuisine est à la fois copieuse et légère, l’architecture moderne et millénaire et ses nains sont énormes et minuscules et se portent très bien. Si les nains se portent littéralement ou si c’était une manière de décrire leur bien-être n’est pas défini et c’est ça qui est formidable à Portopetaka. On peut être à la fois politiquement correct et outrageux à Portopetaka. On peut à la fois être dehors ou dedans à Portopetaka. On ne sait jamais où on en est. Rien n’est défini et tout est possible. À part le lancer de nain. Cette pratique douteuse (qui a été rendu tristement célèbre par le film Le Loup de Wall Street et qui va à l’encontre de toute valeur humaniste) consiste en un corps de nain qui va à l’encontre du sol grâce à l’ennui d’une personne sans scrupule qui avait envie de lancer quelque chose de consistant une fois dans sa vie. Cette pratique est aussi interdite à Portopetaka. Ce qui ne devrait étonner personne. Si ça avait été permis, je n’y serais pas allé. Mais pas comme je n’y suis pas allé maintenant. Je n’y serais pas allé pour boycotter Portopetaka. Maintenant je n’y vais pas puisque Portopetaka n’existe pas. Ça n’a rien à voir. J’espère avoir été clair.

Le jazz et mon grand-père

Mon grand père et le jazz - Une histoire tremblante

Ce que mon grand-père aimait plus que tout, c’était le jazz. Je le vois encore, debout au milieu de son salon, en chaussettes sur le grand vieux tapis persan, un casque sur les oreilles pour ne pas déranger ma grand-mère. Il ne suivait que la batterie. Jamais les soli. Jamais les cuivres. Il ne bougeait que les épaules, les mains, un tout petit peu les coudes. On n’avait qu’à le regarder et on savait quel morceau il était en train d’écouter pour la énième fois.

Il les adorait tous. Parker, Ellington, Fitzgerald, Armstrong, Holiday, Goodman… Mais il y en avait un, pourtant pas si connu, qui, selon mon grand-père, était au dessus de tous. Il le disait toujours, de plus en plus ses dernières années:

-Rien et personne ne me fera bouger comme Parkinson.

Et il avait raison. De plus en plus, et même sans son casque, mon grand-père, il avait le jazz en lui. Boum-ts, badoum-ts, badoum-ts…