Mourir sous un projecteur

Alors c’est ça, faire une attaque. Un plafond blanc, un rideau. Ce foutu rideau. Je l’aimais beaucoup, ce rideau. J’avais pris du temps à le choisir. Le projecteur. J’ai tellement galéré à le monter, j’ai failli laisser tomber. Projecteur, plafond rideau. L’étagère. Voilà. Quelle fin. Aucune chance qu’on me trouve. On est vendredi soir. Personne va s’inquiéter avant lundi. Et même lundi… Vont-ils envoyer quelqu’un ici juste parce que je ne vienne pas au boulot? Aucune importance, de toute façon. Pourvu que ça se termine vite. Ne devrais-je pas voir ma vie défiler, normalement? C’est pas comme ça, normalement? Je vais pas regarder ce plafond jusqu’au bout, quand même? Voyons voir si je ferme les yeux. Qu’est ce que je vois? Rien? Il y a quelque chose là-bas. Voyons voir. Juliette? Juliette, biens sur. Ah non, pas comme ça Juliette. Je veux voir que les beaux moments. Montre-moi que les beaux moments. Ça ne marche pas. Voyons autre chose. Papa! Oh papa, ça fait plaisir de te voir! Tu me manques. Et maman! Tu es là, toi aussi! Toujours en retrait. Mais mets toi en avant! Mais non, Maman! Sois pas timide, c’est moi! Ah Lucien, Bastien, vous êtes là aussi? Ça va? La famille, le chômage? Tout baigne? Oh ça va, je te charrie. Regarde, finalement c’est moi qui part le premier! Qui aurait cru? Moi, le sportif, le soigneux, celui qui boit peu, celui qui n’a jamais fumé. Voilà. Me voilà bien avancé. Que voulez vous ma petite dame, on se refait pas. Fanny? Alors ça, ça fait vraiment longtemps. Tu crois qu’on peut encore faire l’amour avant que je parte? Juste dans ma tête. Tu pars déjà? Mais je voulais vraiment, Fanny! Je pouvais pas à l’époque! À cause, à cause, j’étais… ne pars pas! J’étais trop con, c’est tout. Trop con. Comme avec toi, Juliette. Lucie, Camille, Lisbeth, Francesca. Ca ne m’a pas arrangé, comme vous voyez. Toujours en partance, toujours en mouvement. C’est peut-être pour ça, l’attaque? Trop agité, trop pressé. J’étais toujours en retard. Pour tout. Là, pour une fois je suis en avance. Ou suis-je en retard? Est-ce que j’étais censé partir plus tôt? Putain, je vais rater mon RDV de prod mardi! Eh toi, dieu, faiseur, univers, le responsable d’attaque, on peut remettre ça à mercredi? J’ai encore des trucs à faire. Deux trucs à régler. Un film à lancer. Voir Juliette. M’excuser. Appeler Fanny. Embrasser ma mère. Voir des gens. Faire les enfants que je n’ai jamais eu! Donne-moi une journée! Aie! Pas la peine, j’ai compris. C’est fait. Voilà tout. J’aurais essayé. C’est donc ça ma vie. Ça s’arrête là. Ok, pas grave. Je me plie à votre volonté. Ce qui est fait, est fait. Le reste… Ce sera aux autres. Même pas quarante ans. Au moins il y aura du monde à mon enterrement. Même ma mère… Non! Franchement, ça ne se fait pas! Laisse moi un peu de temps de la préparer à ça au moins! Pas pour moi, pour elle. Ma mère ça va la tuer, de m’enterrer! S’il te plait. … Aie. C’est bon, c’est bon, j’ai compris. On ne négocie pas avec la mort. Allez, je suis prêt. Envoie-le défilé de ma vie! Les regrets, les bons moments, les douleurs, envoie-tout! Je suis prêt. (Pause) Rien? Mais sérieux, on attend quoi là? Je vais quand même pas rester face à ce plafond de merde, ce projo de merde, ce rideau à la con pendant des heures. S’il te plait, pas ça! On peut pas accélérer le processus? Pourquoi je ne perds pas conscience, par exemple? Pourquoi pas de tunnel avec lumière au bout? Un petit best of de ma vie? Allez, un peu d’animation, un peu de mouvement. Ah, c’est ça. Je comprends. C’est pour me punir. Pour me montrer que j’aurais du m’arrêter plus souvent. Que j’aurais du faire des pauses. Pigé. Ok. Je comprends. Je suis puni. Je reste comme ça jusqu’à ce que vous décidez que j’ai compris la leçon. Super. (Pause) Mais sérieux, à quoi bon? Ça sert à quoi? Je vais mourir de toute façon, ça sert à quoi de me donner une leçon maintenant? Il n’y a pas d’au-delà, non? Pas de réincarnation? Vous répondez pas? Bien joué. J’ai compris. Je suis tout seul. Bien fait pour moi. Puni. Méchant. Dans le coin. Entendu. Ben, je vais m’amuser tout seul. Non pardon, pas m’amuser. Mourir. Tout seul dans mon coin. Comme un grand. En paix. Peut-être pas en paix, mais calmement. Comme un grand gars qui a compris sa leçon. Mais entre nous, il y a bien un au-delà? Une réincarnation? Parce que moi, ça ne m’arrange vraiment pas. Moi, j’ai donné, moi. J’ai pris aussi, probablement plus que ce que j’ai donné, mais quand même. Si c’est fait, je veux bien que ce soit fait pour de bon. Aucune envie de devenir ver de terre ou regarder les autres baiser pendant que je suis assis dans les nuages. Mais c’est une image! Je sais bien que ça doit se passer autrement en vrai, qu’on n’est pas assis sur des nuages, qu’on peut être réincarné en tant que chili con réincarné, qu’il y a beaucoup de paperasse surement, que c’est pas si simple, j’entends tout ça, mais si vous vouliez bien cocher la case « ne souhaite pas être réincarné » ça m’arrangerait énormément. Brûlez-moi, faites du charbon, faites rouler des voitures avec ce qui reste de moi, même des chars, j’en ai rien à faire, je suis pas moraliste moi, ce ne serait plus mon affaire. (Pause) Mais enlevez-moi ce plafond blanc, svp, c’est agaçant à la fin. Mettez-moi un film. Un souvenir. Je veux un souvenir! (On le voit à 4 ans qui se fait dessus) Mais pas ça, un truc bien! (On le voit, en train de faire l’amour à une femme) Mais pas ça, c’était la cause de mon divorce! Mais il marche vraiment pas bien, ce cerveau! Tu m’étonnes que je fasse des attaques avec une machine comme ça. Bon, quoi, maintenant? Ça y est, c’est fini? Le tunnel? La lumière? Même pas? Juste un fondu au noir à la con! Vous êtes vraiment des crevards! C’est quoi ce budget de merde pour une fin de merde? Qui a écrit cette fin? Allez, envoyez la sauce là, mettez-y un peu d’enthousiasme, une pancarte, des confettis, un… Non! Noooooon!

15 belles images d’un tournage test en Normandie

Le titre de mon long-métrage « Une à une allumées » est inspiré du poème « Trois allumettes » de Prévert:

Trois allumettes une à une allumées dans la nuit
La première pour voir ton visage tout entier
La seconde pour voir tes yeux
La dernière pour voir ta bouche
Et l’obscurité tout entière pour me rappeler tout cela
En te serrant dans mes bras

On s’est amusés à créer un « mood reel » ou « teaser » ou une « démo » pour ce film. Je peux évidemment pas le partager, mais ci-dessous il y a quelques images à découvrir. Encore une fois j’avais une équipe de choc et j’étais très honoré qu’ils acceptent de m’accompagner pour le début de cette aventure.

 

 

 

Trois jours en Normandie au mois de novembre, ça rassemble.

 

Si je pouvais tout faire…

Si je pouvais tout faire. Je n’en aurais rien à faire. C’est la limite qui pousse à la dépasser. Sans la limite, pas de dépassement. Si on ne dépasse pas, comment savoir qu’on s’est dépassé, qu’on a franchi une étape? Sans étapes, comment savoir qu’on a frappé fort? On ne sait pas. Si je pouvais tout faire, je resterai de marbre. Je ne bougerai point. D’un iota. De deux iota une, de deux choses j’en ferai aucune. Je ne suis pas né pour tout faire, je suis né pour dépasser. Je suis né sur la voie de gauche, la voie du dépassement, celle du dépaysement qui n’a pas le temps de voir le paysage défiler. Le temps a filé depuis, le temps file en aiguilles et ailleurs. Si je pouvais tout faire je n’en ferai rien. Je ne suis pas fou. Je suis dans l’effort. Dans la force. La faiblesse. L’opposition des possibles et des impossibles. Si je pouvais tout faire je m’opposerais à rien. Autant me poser, me re-poser. Voilà ce que je ferai, en vrai. Je me poserai. Puis je me re-poserai. Et me poserai encore. Pour jamais arrêter de me poser. Je prendrai la pause. La pose du pauseur. Celui qui pose en pauseur. Je créerai des pauses. Puis je récréerai ces pauses, je ferai des récréations des récréations. Je copierai moi-même en train de poser des pauses. Je ne bougerai qu’un doigt pour appuyer sur copie. Copie à l’infini? Des exemplaires infinis d’une pause créé avec rien. Pour rien. L’ultime pause. Cette pause sera autant plus exp(l)ausive qu’elle n’impose rien. Pas d’activité avant, pas de frénésie après. La pause ultime. Sans début, ni fin, créé dans le vide, entourée de rien, une pose sans forme, informelle en quelque sorte, la pause de toutes les pauses, la pause impausible.
Ce serait beaucoup de travail quand même. Peut-être que je n’en ferai rien. Faire quelque chose semble toujours moins fatiguant que ne rien faire du tout. Il faut un certain perfectionnisme de pauseur pour créer la pause parfaite. Je n’en ferai rien. Je pose quand je pose, mais je ne vais pas m’imposer la pause quand même! Des fois je vais bosser au lieu de poser.

Là, par exemple: Au boulot!